En juin dernier, le CESE organisait un colloque dédié à la compliance. Alors que les États-Unis multiplient les mesures à portée extraterritoriale contre la corruption, dont l’impact est de plus en plus visible sur nos entreprises, la France et l’Europe doivent renforcer leur arsenal juridique, ont estimé le député Raphaël Gauvain, l’ancien diplomate Pierre Sellal et le secrétaire général du groupe Société Générale, Gilles Briatta. « Comply or die ? », questionne l’économiste Marion Leblanc-Wohrer dans une note en ligne de la collection Potomac Papers (Ifri), publiée en mars 2018. L’économiste, qui y aborde le sort des entreprises face à l’exigence de conformité venue d’outreAtlantique, rappelle que « Les États-Unis ont mis en place un large corpus juridique à portée extraterritoriale pour lutter contre la corruption au niveau international », et que « Les entreprises européennes et françaises ont souvent été visées et punies dans les récentes années ». « En réaction, rapporte-t-elle, les Européens ont commencé à adopter leurs propres règles. En France, la loi Sapin II oblige les entreprises françaises à développer leurs règles internes de conformité (compliance). Cette évolution pourrait à terme réduire les poursuites venues des États-Unis ». Alors qu’elle commence à prendre de l’ampleur dans les organisations, la compliance était au cœur du colloque organisé par le cabinet August Debouzy, en partenariat avec le Club des Juristes, le 27 juin dernier, au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Bernard Cazeneuve y présidait notamment une table ronde très axée sur la riposte à l’extraterritorialité « made in USA ». Raphaël Gauvain : protéger nos entreprises des mesures à portée extraterritoriale Le président du Club des juristes et ancien Premier ministre est revenu en premier lieu sur le rapport remis la veille par l’avocat et député LREM Raphaël Gauvain, qui entend, dès le titre, « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe, et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Le texte formule notamment 9 recommandations, dont trois sont « essentielles », a jugé son rapporteur. Une loi de blocage « ancienne, insuffisante, mal appliquée et souvent écartée » Le premier point concerne la loi de blocage de 1968, modifiée en 1980, qui interdit, « sous réserve des traités ou accords internationaux », aux Français et résidents en France, ainsi qu’aux dirigeants et autres personnes morales ayant leur siège ou un établissement en France, de communiquer « à des autorités publiques étrangères, les documents ou les renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public », et impose de passer par les canaux de la coopération internationale. Cette loi avait pour objectif, a rappelé Raphaël Gauvain, de contrer une « procédure judiciaire très intrusive » : la discovery américaine, considérée comme indispensable à la recherche de preuves et regroupant l’ensemble des mesures par lesquelles les autorités américaines ordonnent à des entreprises la communication de documents situés hors du territoire américain, au cours de la phase d’enquête ou d’instruction. Toutefois, les auditions menées dans le cadre du rapport ont mis en évidence que l’obligation pour toute personne d’informer sans délai le ministre compétent lorsqu’elle se trouve saisie d’une demande de communication de pièces n’était pas respectée, que les autorités américaines continuaient à s’adresser directement aux entreprises françaises pour leur réclamer des documents, et qu’un ensemble d’« éléments de pression » conduisait « immanquablement les entreprises françaises à coopérer » à l’occasion de la discovery, à l’instar des procédures transactionnelles (au pénal). Or, pour le rapporteur, ce transfert d’éléments est d’autant plus problématique que les entreprises se trouvent « particulièrement fragilisées dans la mesure où les avis de leurs services juridiques ne bénéficient pas de la confidentialité dans notre droit interne.» « Il y a donc une forte demande de la part des entreprises françaises pour que la loi de blocage soit véritablement efficace », a relaté le député. Le rapport, qui met en lumière l’absence de « mesure(s) au niveau européen qui permette(nt) de protéger de manière fiable les entreprises européennes des mesures à portée extraterritoriale prises par des États tiers, au premier rang desquels les États-Unis », suggère donc de réformer la loi de 1968, jugée « ancienne, insuffisante, mal appliquée et souvent écartée ». Il propose la création d’un mécanisme obligatoire d’alerte en amont et la mise en place d’un accompagnement des entreprises par une administration dédiée. « On préconise également une aggravation de la sanction en cas de violation de la loi », a ajouté Raphaël Gauvain : 2 millions d’euros au lieu de 18 000 euros aujourd’hui pour les personnes physiques, et cinq fois plus pour les personnes morales. Le député a cependant reconnu qu’une sanction plus sévère n’était « pas une fin en soi », dénonçant la situation inconfortable dans laquelle se retrouvent les sociétés. « Il ne faut pas oublier qu’avec cette loi, on met les entreprises face à un conflit de lois. On les place entre le marteau et l’enclume. D’un côté, les autorités publiques étrangères, notamment américaines, qui leur demandent de leur communiquer des documents sous peine de condamnations. De l’autre, les autorités françaises qui leur disent que c’est hors de question, qu’il faut passer par la coopération », a-t-il mis en exergue. Raphaël Gauvain a donc indiqué qu’il était nécessaire de « manier cette proposition avec doigté », l’idée étant de « réaffirmer notre souveraineté, obliger les Américains à passer par la coopération judiciaire, et en même temps ne pas pénaliser les entreprises ». (…) suite de l’article, cliquer sur l’URL http://www.jss.fr/Compliance__des_specialistes_appellent_a_accelerer_le_mouvement_pour_proteger_les_entreprises_francaises_lors_d’un_colloque_au_CESE_-1728.awp?AWPID98B8ED7F=2F58D70F457702A96F4787551F54926BA6BE8666 |